Interview: Yves Swolfs

Interview: Yves Swolfs

mai 5th, 2011|Alsace BD Actu|

Interview: Yves Swolfs

Lorsque vous commencez une nouvelle série, vous explorez un univers très différent du précédent. Est-ce une volonté marquée ?

Oui, c’est pour dessiner autre chose, explorer d’autres univers. Effectivement, au bout de 6 albums (sur des cycles de dix ans environ),  j’aime bien changer d’univers, de documentation, de personnages et ne plus dessiner les mêmes décors. Durango a tenu plus longtemps car ma passion pour le western était vraiment forte, c’était le bon équilibre pour ne pas éprouver une sorte de fatigue

Il y a pourtant des séries où vous commencez tout, mais passez assez vite le relais à un autre dessinateur.

Justement, quand j’ai commencé Le prince de la nuit, juste après Durango, je m’étais dit que je ne dessinerais plus jamais de western. Mais ce n’est pas pour autant que je n’avais plus d’idée. C’est lors de ma rentrée chez Soleil, que j’ai rencontré Thierry Girod qui faisait Wanted. Nous avons alors parlé de Durango ;  il m’a fait part de son admiration, et je me suis dit qu’il serait bon de faire de nouveaux épisodes et lui était très enthousiaste. Donc on a remis le couvert.

Mais pour Dampierre ?

Alors ici, c’est différent. C’est ma seule série que j’ai un peu foiré, où je me suis rendu compte que j’allais sur une voie de garage. Le concept n’était pourtant pas mauvais. J’avais alors besoin de faire une pause avec Durango. Et chez Glénat, comme c’était la mode de faire des séries historiques, je me suis mis à mon tour à cherché un sujet. J’ai donc trouvé ce thème qui n’avait pas vraiment été traité. J’ai donc commencé cette série sur de bonnes bases. De plus, la série marchait bien. Mais au bout de deux albums je me suis  rendu compte que j’avais fait une démarche à l’envers. Ce n’était pas une chose que j’avais particulièrement envie de faire, mais je m’étais plutôt adapté au contexte de cette mode ; le coté historique très pointu à respecter, avec à chaque dédicaces les amateurs d’histoire qui venaient pour me corriger. A un moment donné j’en ai eu marre. Il se trouve que Pierre Legen adore cet univers, dessiner les uniformes etc, et je lui ai donc passé le relais du dessin.

Vos planches témoignent d’un grand souci du détail, particulièrement pour les décors. Comment se déroule votre travail de recherche ?

J’aime bien  ce coté de recherches de documentations et essayer de rétablir les atmosphères véritables, autant pour les westerns que pour Dampiere, et particulièrement pour Le prince de la nuit et Légendes. Je trouve effectivement que quand on se lance dans une histoire, il faut qu’elle soit crédible, pouvoir s’en imprégner le plus possible. Moi, j’adore aller visiter les châteaux ; il y a aussi internet maintenant, mais j’ai aussi trouvé des vieux livres avec des images historiques. C’est tout ce travail de recherche avant de commencer à dessiner l’album que je trouve particulièrement intéressant.

Faire vrai, coller à la réalité.

C’est ça. Il est vrai que les châteaux médiévaux que je dessine n’existent pas en tant que tel, mais je me suis inspiré de toutes sortes de plans recréés par les archéologues à partir de ruines, ainsi que par des livres d’architecture médiévale, et l’encyclopédie de Viole Leduc. Finalement on regarde tout ça, et on en fait une sorte de compilation pour en faire quelque chose qui soit crédible.

Il y a beaucoup de plans cinématographiques dans vos albums. N’avez-vous jamais été tenté par le grand écran ?

Tout le monde est tenté ! Je pense qu’il n’y a pas un dessinateur de bande dessinée qui  n’ait pas été tenté par le cinéma. Le problème est d’y accéder, avoir les moyens de le faire et c’est quelque chose d’énorme. Je sais bien  qu’il y a de nombreux scénaristes qui essaient de pénétrer le milieu du cinéma pour essayer de placer quelques scénarios. Il y en a quelques uns qui ont réussis ; très certainement qu’ils avaient les bonnes adresses ou que leur sujet a touché le milieu du cinéma pour quelque raison particulière. Il y a Bilal qui l’a fait, Sfar avec Gainsbourg. Ces deux auteurs sont des phénomènes en France, et particulièrement à Paris. Ils sont très médiatisés et ont donc très probablement accès à des sphères auxquelles nous ne pouvons pas atteindre en général. Si quelqu’un me proposait de faire un film je serais ravi, mais je ne me fais pas d’idées, il faut beaucoup de temps pour faire les couloirs et aller voir les maisons de productions.

Votre écriture change-t-elle lorsque vous rédigez un album que vous ne dessinerez pas ?

Je dois être plus précis. C’est-à-dire qu’au niveau des dialogues, ça ne change rien, mais je dois être plus précis dans les descriptions, tout en laissant au dessinateur un maximum de liberté. Il faut toujours que l’intension soit bonne, au niveau des expressions par exemple. C’est le plus important.

Quand vous commencez une série, savez vous comment la terminer ?

Quand c’est des sagas, oui. Dans ce genre de projet tu ne peux pas partir comme ça, un peu à l’aveuglette. Connaître la fin c’est aussi connaître le propos.

Vous avez été publié par de nombreuses maisons d’éditions différentes. Cela représente-t-il quelque chose pour vous ?

C’est un peu selon les circonstances, les contacts. Et puis aussi pour des raisons financières, il ne faut pas se le cacher. Si j’ai changé plusieurs fois, c’est qu’effectivement cela allait à un moment donné. Puis on se dit après que ce n’est pas le mieux. Dans l’idéal on resterait dans la même maison d’édition. S’il n’y a pas de soucis, il n’y a pas de raison de changer. Et puis aussi stratégiquement, on se dit que c’est bien d’aller voir tel éditeur pour tel genre de projet.

Depuis 1981, après toutes ces années de carrière, comment regardez-vous l’ensemble de votre œuvre ?

Je ne sais pas. Je suis assez content, j’ai l’impression de ne pas avoir raté mon coup. Quand je vois que j’ai trois séries différentes, c’est assez rare en temps qu’auteur complet  d’avoir réussie trois choses qui ont bien marchées : je me dis que c’est bien. Mais il reste encore pas mal de choses à faire encore !

A partir de maintenant, vous allez envisager votre travail un peu différent…

Je ne referais pas d’autres saga comme Le prince de la nuit, ne plus m’astreindre à faire durant 6 albums le même sujet. Il y aura Durango d’un coté, il y a Légende que je vais terminer, et je vais probablement réaliser les mémoires du Prince de la nuit, mais plus épisodiquement, tome par tome. Si je veux faire un one-shot qui n’a rien à voir, je le ferais. Je ne veux plus être lié par cette nécessité d’assurer un suivit parce que l’histoire n’est pas finie et que les gens restent sur leur fin. Et puis j’aimerais faire plus de scénarios aussi.

Dans le paysage actuel de la bande dessinée, nous pouvons distinguer deux tendance très différentes ; la bande dessinée classique, destinée à un large lectorat comme vous faites, et le milieu alternatif, plus orienté vers l’expérimentation. Nous pouvons observer de véritables tensions entre les deux. Comment vous placez vous.

Et bien un jour je vais faire un album alternatif de 80 pages en trois mois, avec un sujet très bien choisi, très mode, et très vite dessiné, tout en changeant de nom et on verra bien ce que cela donnera !Parce que c’est vrai qu’il y a de bonne choses, mais il y a aussi beaucoup d’arnaques, pas mal de communication, et un phénomène de microcosme parisiens. Finalement ça a été la même chose avec la bande dessinée en noir et blanc : il y avait Pratt évidemment, Schuittens ou Comès. Il y avait des bonnes choses, mais à un moment donné, dans cette sphères là, n’avaient plus droit au chapitre que les gens qui faisaient du noir et blanc, tout ce milieu de Casterman. Ce sont des modes qui viennent plus du milieu parisien. Ça vaut ce que ça vaut ; il y a de la créativité et si ça se vend bien, tant mieux pour eux. C’est aussi à nous qui faisons du classique de faire en sorte de bien se vendre.

Vous pensez que cela va passer ?

Oui, je le pense. Mais il restera toujours des gens: un gars comme Sfar, qui est intelligent, va rester, il y en a d’autres mais il y aura bientôt d’autres phénomènes.

mai 5th, 2011|Alsace BD Actu|