Pouvez-vous nous parler de l’évolution de votre métier de coloriste, qui a beaucoup changé, avec notamment l’avènement de la colorisation par ordinateur ainsi que le nombre croissant de dessinateurs qui demandent aux coloristes d’intervenir sur leurs albums ?
Il y a effectivement un nombre croissant de dessinateurs, mais c’est toute la profession qui a grandi. Il est vrai qu’à l’époque, les dessinateurs de bandes dessinées étaient des marginaux. Les coloristes étaient alors peu nombreux. C’était souvent des amis ou leurs épouses qui faisaient ce travail à coté du leur. C’était un métier très mal considéré, très peu payé voir pas du tout. Et, petit à petit, c’est effectivement une profession qui a acquit ses lettres de noblesse, parce que, j’ai la faiblesse de le croire, la couleur apporte un réel plus en narration ; en terme de lisibilité ou d’efficacité dans les éclairages. D’ailleurs, je dis souvent que le travail du coloriste est avant tout un travail d’éclairagiste, plus que de remplir les cases avec des couleurs. Nous sommes vraiment là pour mettre en évidence les choses qui sont importantes dans la case.
Comment travaillez-vous ?
Actuellement, la plupart des coloristes travaillent à l’ordinateur, sous la pression des éditeurs : cela permet en effet de faire des économies de temps et de moyens. Pour ma part je continue à travailler à la main, parce que j’ai réussi à résister à cette pression, par choix, parce que j’aime bien l’angoisse de la page blanche, ce contact avec le papier. Par contre, je reconnais que l’ordinateur est un outil formidable. Je l’utilise en post production, pour rajouter des effets spéciaux, des effets de lumière, retravailler certaines chose ou accentuer des contrastes par exemple.
Les dessinateurs vous donnent-ils des indications de couleurs lorsqu’ils vous envoient les planches ?
Non. Le scénario est la seul indication que j’ai. J’ai toujours voulu travailler comme ça, je vais dans le sens de l’histoire. A partir de là, il n’y a de problème ni avec le dessinateur, ni avec le scénariste, car nous travaillons tous dans la même direction. Il faut savoir que si un dessinateur a une idée très précise des couleurs, il n’aura jamais ce qu’il désire parce que nous sommes tous différents et chaque coloriste a sa palette. La meilleure façon de le voir est l’exposition qui a été faite dans le cadre du festival Strasbulles en 2009, où nous sommes une dizaine de coloristes à avoir travaillé sur une illustration d’Emile Bravo. En regardant ces illustrations, on se rend compte qu’elles sont toutes distinctes, elles ont toute une façon différente de montrer les choses. Donc je pense qu’il faut qu’un dessinateur, s’il fait appel à un coloriste, fasse le deuil de sa vision des couleurs.
Que pensez-vous de la qualité globale de toutes ses mises en couleurs informatiques ?
Je trouve qu’il y a une baisse de qualité. L’intérêt du travail à la main est que chaque coloriste a une personnalité, de part les accidents qu’il occasionne, notamment par le travail avec l’eau, ou simplement avec le grain du papier qui donne aussi un caractère au travail. L’ordinateur a une tendance à lisser un peu les styles. Il y en a quelques uns qui ont réussi a vraiment créer leur style avec l’outil informatique, mais ils sont quand même assez rare. C’est pour ça que j’ai voulu garder le travail à la main, et je pense avoir fait le bon choix.
Savez-vous dessiner ?
Je dessine un peu, mais je ne suis pas très bon, et encore moins pour animer des personnages. Je suis laborieux et je n’ai pas le temps. Il m’arrive parfois de m’amuser un petit peu, de dessiner, de participer à la création de décors de bandes dessinée que j’ai mises en couleurs, mais cela reste anecdotique. Ceci dit, j’ai fait une formation de deux ans aux arts déco de Strasbourg, et ça m’a vraiment apporté énormément de choses, surtout en terme de narration. Dans cette école, on n’apprend pas à dessiner mais à raconter. Chacun s’exprime avec sa technique, sa personnalité, mais ce que Claude Lapointe nous apprenait alors, c’était la narration. On peut le comprendre facilement : certains auteurs ont un dessin approximatifs, voir maladroits, mais arrivent vraiment à faire passer des émotions, alors que d’autres sont des monstre de technicité, mais leur production ne raconte rien. La bande dessinée c’est avant tout raconter une histoire.
Avez-vous eu à réaliser des mises en couleurs pour ce genre de travaux, ou avec des traits pas fermés par exemple ?
Oui, mais ça ne m’effraie, je simplifie. Au contraire, une illustration qui n’est pas facile à lire en noir et blanc, est un réel bonheur pour un coloriste, qui doit faire en sorte de la rendre lisible. Nous sommes là pour hiérarchiser les choses. Presque pour imposer au lecteur où il doit poser son œil. Nous lui disons, c’est là qu’il faut que tu regardes. C’est ça le travail de coloriste.
Des travaux comme ceux d’Alex Barbier ou de Lorenzo Mattotti mettent la couleur au centre de leur narration. N’avez vous jamais été tenté d’avoir les différentes casquettes?
Mais si ! Je l’ai même fait en compagnie de Laurent Cagniat pour Pitchi Poï. C’est une bd sortie chez Delcourt , une histoire pour enfant qui peut aussi se lire par les adultes. Nous avons coécrit l’histoire, et j’ai fait un travail de couleur direct : je recevais les originaux de Laurent, et travaillais ma couleur directement dessus. C’est un travail plus long mais plus valorisant. Et je vais normalement travailler comme ça pour le prochain Maester.